Pile et Face août 2000

« Enfin, la relation médecin-malade est marquée par l'idéalisation qui sous-tend les attentes réciproques : le médecin idéal est pour le patient celui qui pourra être à la hauteur de ses multiples espérances, le patient idéal est, pour le praticien, celui qui lui permettra au mieux de satisfaire sa "vocation", c'est-à-dire à la fois ses attentes conscientes et ses désirs inconscients »
 
Sylvie Consoli "L'alliance thérapeutique avec un sujet atopique". Extrait du livre des conférences des Journées de Lyon
Sylvie Consoli est l’auteure de « La tendresse » Ed. Odile Jacob


Pile et Face avril 1999 
Les réponses immunitaires 
 
Dr Michel Castelain. Marseille.
Les deux types principaux de réponse immunitaire sont l’immunité humorale et l’immunité cellulaire. Elles tirent au départ leur nom :
 
- pour la première des anticorps qui sont des glycoprotéines qui circulent dans “ l’humeur ” sanguine, et qui représentent l’agent effecteur de l’immunité humorale,
 
- et la seconde, du fait que ce sont des cellules (lymphocytes T) qui sont les acteurs principaux de ce type d’immunité.
 
Immunité humorale ou immédiate
Elle s’exprime par la production d’anticorps qui circulent dans le sang et sont capables de se fixer spécifiquement sur l’objectif contre lequel ils sont dirigés, comme par exemple un allergène. Les anticorps sont des glycoprotéines appartenant à la famille des immunoglobulines et se répartissent en cinq classes : IgG, IgM, IgA, IgD et IgE. Ce sont les lymphocytes de type B qui répondent à l’antigène en fabriquant de grandes quantités d’anticorps après s’être différenciés en plasmocytes. La fixation des anticorps sur l’antigène déclenche une série de mécanismes qui entraînent, entre autres, l’élimination de celui-ci.
Les IgE sont responsables de réactions allergiques de type immédiat, apparaissant dans les minutes qui suivent le contact avec l’allergène. Par exemple, si un allergène vient se fixer en faisant un pont entre deux IgE proches l’une de l’autre, à la surface d’un mastocyte, celui-ci perd ses granules pleins de médiateurs chimiques, qu’ils libèrent autour d’eux. Ces médiateurs chimiques, dont le plus important est l’histamine, sont responsables, par exemple, d’une dilatation des petits capillaires cutanés, et du passage de sérum à l’extérieur des vaisseaux capillaires, ce qui se traduit en pratique par une rougeur locale (érythème) avec un oedème central, et des démangeaisons (prurit); ce sont les éléments constitutifs de l’urticaire.
 
Immunité à médiation cellulaire ou retardée
Elle repose sur les lymphocytes de type T. A la différence des lymphocytes B qui reconnaissent directement l’antigène, les lymphocytes T ont besoin d’une cellule accessoire qui leur présente l’antigène. Ces cellules, dans le sang, sont des monocytes ou des macrophages (cellules “ éboueurs ” qui éliminent les substances ou organismes intrus en les absorbant); dans la peau, ce sont des cellules de Langerhans qui, grâce à leurs prolongements cellulaires (ou dentrites), forment un véritable filet dans l’épiderme, difficile à franchir pour les allergènes.
Les lymphocytes T sont activés lors d’un premier contact avec l’allergène, généralement dans le ganglion lymphatique satellite de la zone de contact avec l’allergène. Il y subit une différenciation en devenant en partie des lymphocytes “ mémoire ”, qui sont spécifiques de l’allergène et qui vont survivre plusieurs années après le contact. Ces lymphocytes mémoire gardent l’information immunitaire permettant à l’organisme de réagir rapidement lors d’un nouveau contact ultérieur avec l’allergène.
Une autre partie se transforme en lymphocytes effecteurs, qui peuvent donner une réponse immunitaire. Mais elle est faible lors du premier contact, passant la plupart du temps inaperçue. Lors d’un contact renouvelé avec l’allergène, cette réponse sera beaucoup plus forte et efficace, et se traduira par des symptômes cliniquement reconnaissables.
Lors d’un deuxième contact, les lymphocytes T spécifiques de l’allergène vont être recrutés et migrer dans la zone de contact avec l’allergène et se transformer localement en cellulles effectrices fabriquant toutes sortes de molécules chimiques (lymphokines). Ces lymphokines vont recruter d’autres cellules inflammatoires et les obliger à rester sur place, et détruire les cellules porteuses de l’antigène. Cette réaction est de type retardé et apparaît dans les 48 heures qui suivent le contact avec l’allergène. Dans l’eczéma, l’action des lymphokines aboutit à un oedème entre cellules épidermiques (spongiose) et à la destruction de certaines cellules de l’épiderme porteuses de l’allergène, aboutissant à la formation de vésicules. Ces lésions sont très prurigineuses.
 
Les lymphocytes T ne fabriquent pas d’anticorps.
 
Ces deux types de réponse immunitaire sont complémentaires et déclenchés simultanément. Ainsi, un agent pathogène induit à la fois une production d’anticorps et une réponse à médiation cellulaire, toutes deux spécifiques de cet agent pathogène. Néanmoins, l’une ou l’autre des réponses immunitaires prédomine selon la nature de l’agent pathogène (virus, bactéries, parasites, molécules chimiques). Une bonne adaptation du type de réponse prédominante est une condition essentielle de succès de la réponse immunitaire. Ce succès s’accompagne de l’élimination de l’intrus qu’il soit chimique ou vivant. La réaction allergique représente une exagération de cette réaction immunitaire.
 
 

 
                                  
 
Pile et Face août et décembre 1999
L e s   I g E

Professeur Dominique Angèle Vuitton, Unité d'Allergologie et Immunologie Clinique, Département de Médecine Interne, CHU Besançon, Unité de Recherche "Santé-Environnement Rural" Université de Franche-Comté
 
Les IgE..."immunoglobulines de classe (on dit aussi isotype) E", le Docteur Michel Castelain dans son article sur les réponses immunitaires du numéro d'avril 1999 de Pile & Face, les a déjà présentées. Donc, pour leur "carte de visite", ou leur "portrait robot", vous pouvez vous référer à cet article qui précise en particulier très bien la part de l'immunité humorale et de l'immunité cellulaire dans l'allergie. Et pourtant tout n'a pas été dit. Donc on va en reparler un peu, car ce sont les "vedettes" de l'allergie. Et même dans la dermatite atopique (dont certains osent nous dire qu'elle n'est pas allergique), on en parle, elles jouent un rôle, et leur présence ou leur absence sont souvent mal interprétées.
 
Les IgE, des anticorps discrets, au charme étrange venu d'ailleurs...
 
Les IgE sont des anticorps ; des anticorps "comme les autres" ; IgM et IgG dont on nous a parlé depuis l'école primaire, ces "bons anticorps" qui nous protègent contre les agents infectieux et qui sont induits par les vaccinations ; ou les anticorps IgA, qui font comme un tapis protecteur à la surface de nos muqueuses, en quelque sorte la "ligne Maginot" contre les invasions ! Ils sont produits par les lymphocytes B, dans les ganglions, la rate, la moelle osseuse, les tissus inflammatoires ; mais l'intervention des lymphocytes T est indispensable.
 
Et pourtant, ce sont des anticorps "pas comme les autres" : ils ont été découverts près de 100 ans après "les autres" ; il y a 30 ans seulement, par les efforts conjugués d'un chercheur suédois, Johanson, et d'un couple de japonais, travaillant aux Etats-Unis, les Ishizaka. De fait, comparés aux autres anticorps, ils sont en quantité infime dans le sérum : moins de 100 microgrammes par litre, alors que "les autres" se pèsent en gramme...C'est ce qui explique qu'on les a d'abord évalués en "unités", et qu'on continue à le faire, même si maintenant une évaluation en microgrammes serait tout à fait possible. Les autres différences : ils sont détruits par la chaleur, ne passent pas le placenta, n'activent pas "le complément", cet ensemble d'enzymes qui fait l'efficacité des autres anticorps pour tuer les cellules indésirables, en particulier les bactéries.
 
Il y a donc 10 000 fois moins d'IgE dans le sérum que d'IgM, d'IgG ou d'IgA. A cela, une cause et une conséquence :
 
-- La cause : il n'est pas dans la nature des IgE d'être dans le sérum : leur place naturelle est d'être fixées sur certaines cellules, en particulier les cellules qui ont à leur surface des récepteurs dits "de haute affinité" comme les mastocytes et les polynucléaires basophiles...et éventuellement les éosinophiles et les cellules de Langerhans de la peau. Cette affinité est si forte qu'une fois l'IgE fixée, elle ne s'en détache que difficilement ; on pourrait presque dire que ce que l'on trouve dans le sérum n'est que le "rab", ce qui dépasse quand les récepteurs cellulaires sont saturés. De nombreuses autres cellules ont également des récepteurs pour les IgE, mais l'affinité de ces récepteurs est moins grande ; il s'agit des lymphocytes B, des plaquettes, des monocytes, des macrophages des cellules dendriniques (dont les cellules de Langerhans) et des éosinophiles : autant de "parkings" à IgE, ce qui explique qu'on en trouve vraiment peu sur les autoroutes de la circulation sanguine...
La conséquence : les techniques utilisées pour doser les IgE sont très différentes de celles qu'on utilise pour les autres anticorps. Elles doivent forcement être beaucoup plus "sensibles", parvenir à détecter de très petites quantités, et on comprend bien qu'elles soient beaucoup plus délicates à mettre en oeuvre. On a d'abord utilisé les techniques radio-immunologiques (utilisant des isotopes radioactifs comme marqueurs) ; c'est le fameux "RAST" (pour radio-allergo-sorbent-test)...qui n'est plus utilisé  mais dont on parle toujours ; le mot est même devenu presque synonyme d'IgE, ce qui est vraiment un abus de langage car actuellement les techniques se sont beaucoup diversifiées. Ce qui est un avantage : elles peuvent être dosées presque n'importe où ; mais aussi un inconvénient : en raison de l'absence totale de standardisation, il n'y a pas de comparaison facile d'un résultat à l'autre, en fonction de la technique utilisée et même du laboratoire qui la met en oeuvre. L'interprétation de la valeur obtenue (surtout pour les dosages d' IgE spécifiques des différents allergènes) exige que le laboratoire donne les caractéristiques de la technique qu'il utilise (c'est d'ailleurs une obligation légale et un malade ne devrait pas accepter un rendu de résultat qui ne fait pas figurer cette indication technique !). Une autre conséquence : si on veut faire un véritable suivi des concentrations d'IgE, qu'elles soient totales (tous les anticorps produits contre tout et n'importe quoi) ou spécifiques (la concentration d'IgE dirigées contre un allergène particulier), chez un patient donné, cela ne peut se faire que sur des résultats obtenus avec une technique identique. Bref, rien à voir entre dosage des IgE et celui du glucose ou du potassium dans le sang par exemple.
 
Trop peu ou trop d'IgE...Allergiques "sans", et non allergiques "avec"...que croire ? qui croire ?

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Ces explications ont, bien sûr, des corrolaires pratiques :
-- Les IgE totales peuvent être normales alors que l'allergie est bien présente, et les IgE spécifiques d'un allergène donné peuvent ne pas être détectables, alors que les prick-tests sont bien positifs : normal ! les pricks explorent les IgE fixées aux mastocytes de la peau, leur "parking" favori, avec les mastocytes des muqueuses nasale, conjonctivale, bronchique et intestinale...sans parler de l'allergie de contact, qui met en oeuvre l'immunité cellulaire où les IgE n'ont rien à voir !
 
-- Alors qu'on dit la "demi-vie" des IgE est courte (environ 2 jours pour que la moitié des IgE produite au jour J ait disparu du sérum), les IgE fixées à leur récepteur cellulaire peuvent "tenir des semaines, et des mois. De plus, une fois que la productionest lancée, si l'environnement des lymphocytes B producteurs est adéquat, cette production peut se poursuivre malgré l'absence de nouvelle introduction d'allergène : cette observation ne choque personne quand on parle des autres anticorps (qui s'étonne que des anticorps contre la rubéole soient encore dosables au moment d'une grossesse alors que la dame a fait sa rubéole quand elle avait 8 ans...) ; les IgE n'échappent pas à la règle de la mémoire immunitaire. Mais il est vrai que chez l'individu "normal", qui ne met pas en permanence ses lymphocytes B dans une ambiance propre à la synthèse des IgE, l'entretien de la production d'IgE va cesser plus rapidement que celle des autres anticorps. Au contraire, l'atopique "entretient" sa sécrétion d'IgE ; c'est là son style ; il n'est pas "atopique" pour rien !
 
-- Les IgE totales peuvent être élevées alors que la personne n'est pas allergique : il y a de multiples causes qui peuvent être à l'origine de production importante et/ou permanente d'IgE, comme les maladies paraditaires, certaines maladies virales. Mais surtout on peut trouver, dans le sérum, des IgE qui reconnaissent des allergènes multiples alors que la personne n'a jamais fait d'accident allergique en respirant ou en mangeant les substances qui reconnaissent ces allergènes. A cela plusieurs types d'explications : quand la quantité d'IgE circulante est vraiment très élevée (cela peut arriver dans les maladies parasitaires ou chez les atopiques), il peut y avoir interférence simple avec des techniques de dosage ; c'est de moins en moins vrai avec les nouvelles techniques, du moins celles qui sont de bonne qualité et bien validées. La deuxième explication tient au fait que, en matière de défense immunitaire, et surtout quand une substance est potentiellement dangereuse, il existe de très nombreux garde-fous qui empêchent le système de se mettre en action quand il n'y a pas réellement danger pour l'organisme. Les IgE peuvent donc avoir été suscitées, synthétisées, et même fixées à leurs cellules favorites, sans pour autant que tout cela aboutisse à des signes cliniques. Ces "garde-fous" commencent à être bien étudiés ; un récent article dans la revue "Science", de l'équipe de Henri Metzger aux Etats-Unis, une des équipes les plus en pointe sur l'étude des mécanismes "IgE-dépendants" en décrivait un récemment. Une simple observation permet aussi de s'en rendre compte : il faut souvent une accumulation de petits facteurs ajoutés (la présence de l'allergène, mais aussi l'exercice physique ou le stress, ou bien d'autres choses encore que chacun peut découvrir sur soi-même) pour que la crise ou la poussée apparaissent.
 
--Les IgE qu'on nous dit "spécifiques" de multiples allergènes peuvent, en fait, avoir parfaois une signification unique. Les Observations cliniques et les confirmations scientifiques des 15 dernières années nous ont appris beaucoup de choses sur ce qu'on appelle maintenant les "réactions croisées" : un allergique au pollen de bouleau aura dans son sérum des IgE qui reconnaissent un allergène de la pomme ; un allergique aux acariens aura dans son sérum des IgE qui reconnaissent un allergène (ou plusieurs) de l'escargot de Bourgogne...que le patient ait ou non des symptômes lorsqu'il mange ces aliments. En fait ca qui suscite la production d'IgE, et ce que l'IgE reconnaît n'est, bien sûr, pas le bouleau ou la pomme ou l'acarien ou l'escargot, ni même une substance présente dans chacun d'eux, mais en quelque sorte un "dénimonateur commun" qu'on appelle "épitope". L'absence de troubles cliniques à l'ingestion de la pomme ou de l'escargot par exemple pourra avoir des explications variées : l'épitope n'est plus reconnu par l'IgE quand la pomme est cuite...la muqueuse digestive est protégée par les IgA à sa surface...des systèmes efficaces détruisent, dans la muqueuse digestive et le foie, l'histamine produite par les mastocytes, alors que la réaction a bel et bien eu lieu...ou la fixation de l'épitope aux IgE qui tapissent la surface des mastocytes n'a pas "chatouillé" suffisamment le mastocyte pour que l'histamine ou les autres médiateurs soient produits.
 
Alors quelques règlent simples :
 
-- On ne fait pas le diagnostic d'allergie sur une prise de sang
-- La "pertinence" des IgE spécifiques d'un allergène donné, découvertes dans le sérum mais aussi à l'occasion d'un test cutané fait de façon systématique, doit être absolument assurée (ou hautement probable) avant de se lancer dans une action préventive (éviction, régime).
-- L'agent sensibilisant (qui induit la production d'IgE spécifiques initialement) peut être différent de l'agent déclenchant (qui est responsable des troubles cliniques, parfois quelques années plus tard) ; et l'ordre peut être différent d'un pays à l'autre, ou d'un continent à l'autre, en fonction de l'environnement et des habitudes alimentaires.
-- On ne traite pas des IgE mais des malades, des malades qui ont plus de choses à dire que les RAST, CAP, MAST, CAST, CLA, MAGIC LITE et autres... qui ne sont que des outils à utiliser avec précaution, même si les IgE ne sont prêtes de "lâcher" les allergiques et si demain, plus qu'aujourd'hui, elles peuvent se révéler, ainsi que leurs récepteurs, des cibles de nouvelles thérapeutiques...Mais ceci est une autre histoire !
 
Les IgE de l’atopique : trop, trop tôt, contre trop d’épitopes, sur trop de cellules trop réactives...Trop c’est trop ! mais pourquoi ? et pourquoi moi ?
 
Quel est le rôle “physiologique” des IgE ?
 
Les anticorps de classe IgE n’ont certainement pas été élaborés au cours de l’évolution des espèces animales, pour arriver à la grande sophistication que l’on peut observer chez l’homme, dans le seul but de compliquer la vie des allergiques ! Cependant, le rôle “physiologique” des IgE, c’est à dire leur utilité au sein des mécanismes de défense de l’organisme vis-à-vis des agents infectieux, n’est pas encore complètement éclairci...Pour l’approcher, on peut se demander dans quelles circonstances particulières ces immunoglobulines sont fabriquées par nos lymphocytes B. La situation la plus caricaturale est celle de certaines maladies parasitaires : c’est dans ces circonstances qu’on trouve les taux les plus élevés d’IgE ; en dehors de l’atopie, bien sûr. On sait aussi qu’elles sont produites dans certaines maladies virales, même si ce fait est souvent négligé (parce qu’on n’en a pas besoin pour le diagnostic, et que la présence des IgE s’accompagne rarement de manifestations indésirables pour le malade dans ces infections-là) ; cette constatation peut expliquer que certaines maladies virales de l’enfant (comme les infections à virus respiratoire syncitial, communes dans les épidémies de crèches) puissent être un facteur favorisant de l’expression clinique de l’allergie, en renforçant le potentiel déjà élevé des enfants allergiques (atopiques) à produire des IgE. Mais on peut imaginer facilement que les immunologistes n’ont pas encore tout compris du vrai rôle des IgE, et que les années à venir nous réserveront encore quelques surprises...qui nous permettront de mieux comprendre les allergies et les allergiques.
Globalement, on peut dire que les IgE contribuent à renforcer les phénomènes d’inflammation, qui sont naturellement déclenchés chaque fois que nous subissons une agression. L’inflammation est un phénomène normal ; c’est notre “ défense de première ligne ” : elle se caractérise par une dilatation des vaisseaux sanguins (d’où la “ rougeur ”), suivie de la sortie du plasma et des cellules de défense (leucocytes) hors des vaisseaux (d’où “ l’oedème ”, souvent accompagné de tuméfaction et de douleur); c’est le classique “ rubor, calor, tumor, dolor ” des anciens; et normalement, une fois l’agresseur maîtrisé, elle se calme spontanément, accompagnée éventuellement de cicatrisation si des destructions tissulaires s’étaient produites. Un autre effet, en général discret dans l’inflammation banale, normale, mais qui prend une importance toute particulière dans l’inflammation allergique, est représenté par la contraction des muscles “ lisses ” ; on trouve ce type de muscles, différents des “ muscles ” au sens athlétique du terme (ou muscles “ striés ”), dans la paroi de l’intestin et des bronches par exemple ; contrairement aux muscles de “ Monsieur Muscle ”, ils ne sont pas soumis à la volonté et se contractent sous l’effet de médiateurs chimiques produits par des nerfs ou des cellules comme les mastocytes. Plusieurs substances, dont la libération ou la production sont provoquées par l’agression, sont responsables de ce phénomène universel et passager...Une cellule est au coeur du phénomène : le mastocyte. C’est une cellule présente en grand nombre à toutes les interfaces avec l’environnement : peau et muqueuses. Elle est bourrée de “ granules ” contenant des substances qui vont agir sur les vaisseaux pour lancer l’inflammation ; ce sont les “ déclencheurs de l’inflammation, les “ médiateurs de l’inflammation ”. Un rien la “ chatouille ” ! parce qu’à sa surface elle possède des récepteurs pour de très nombreuses substances chimiques qui jouent, ailleurs, des rôles multiples et mieux connus, et qui vont trouver là une cible dont on découvre seulement maintenant toutes les facettes. Des substances variées d’origines multiples vont ainsi pouvoir faire “ dégranuler ”, comme on dit, les mastocytes, c’est-à-dire faire sortir des mastocytes les médiateurs de l’inflammation. Parmi les plus importantes, on trouve des facteurs sériques intervenant dans la coagulation du sang, d’autres substances présentes dans le sang à l’état inactif et qui vont “ s’activer ” lors de l’agression comme les composés du Complément ; mais on trouve aussi des hormones, et des médiateurs chimiques de tous types qui interviennent dans le fonctionnement des nerfs mais aussi du psychisme, ou, dans des cas plus artificiels, les produits de contraste iodés employés en radiologie, ou des médicaments, comme certains curares employés en anesthésie générale. On comprend alors que tous ces éléments puissent moduler les manifestations cliniques de l’allergie, s’ajouter aux effets propres des IgE sur les mastocytes pour déclencher, ou aggraver, les réactions.
 
IgE et mastocytes : un couple parfait...qui peut devenir infernal !
 
Les IgE sont, en fait, les activateurs (on pourrait dire aussi les “ dégranulateurs ”) “ immunologiques ” des mastocytes. Ils interviennent en “ deuxième ligne ”, quand les autres substances évoquées plus haut ont fini d’agir, ou sont insuffisantes pour entretenir l’inflammation. Contrairement à ces autres substances “ de première ligne ”, qui se mettent en action quel que soit l’agresseur, les anticorps IgE sont capables de reconnaître sélectivement, spécifiquement, des sites particuliers sur les molécules qui forment le monde qui nous entoure : on l’a vu dans le précédent article sur les IgE, c’est ce qu’on appelle les épitopes. En réalité ces épitopes sont initialement reconnus par des sortes de “ têtes chercheuses ” à la surface de nos lymphocytes T et B, qui vont d’abord déclencher une subtile machinerie lymphocytaire, qui aboutira, au terme d’une conversation élaborée entre lymphocytes T et lymphocytes B, à la sécrétion d’anticorps par les lymphocytes B. Les premiers anticorps produits sont toujours des IgM ; ensuite, la cellule qui produit les anticorps sera “ conditionnée ” par des sortes d’hormones produites par les lymphocytes T et d’autres cellules, qu’on appelle cytokines,  à produire des IgG, des IgA ou...des IgE. Ces IgE, on l’a également vu dans l’article précédent, vont immédiatement se fixer sur les mastocytes qui possèdent des récepteurs de haute affinité pour les accueillir. Lors d’un nouveau contact de notre organisme avec la (les) molécule(s) qui contiennent l’épitope initialement reconnu, ces molécules viendront se fixer sur les IgE elles-mêmes pré-fixées à la surface des mastocytes ; cette fixation “ à deux étages ” a pour effet de modifier la place des récepteurs dans la membrane du mastocyte, de les mettre en relation avec des structures d’activation de cette cellule, et de faire sortir de la cellule les fameux médiateurs de l’inflammation, prêts à l’emploi, comme l’histamine, ou synthétisés par le mastocyte dès qu’il reçoit cette information, comme les prostaglandines et surtout les leukotriènes. Les mêmes effets, décrits plus haut pour l’inflammation de “ première ligne ”, on dit encore “ non-spécifiques ”, dilatation des vaisseaux –rougeur, oedème- et contraction des muscles lisses –intestinaux, bronchiques- vont alors se produire. On peut concevoir qu’en cas d’infection parasitaire, ces effets “ physiologiques ” des IgE sur les mastocytes, intestinaux, par exemple, puissent participer efficacement à la lutte contre ces agresseurs tellement plus gros que les bactéries et les virus, et donc inaccessibles aux moyens habituels des défenses immunitaires : l’oedème de la muqueuse intestinale, de même que des contractions violentes de l’intestin, sont bien susceptibles de faire lâcher prise à des vers intestinaux, par exemple !...On peut aussi penser que dans d’autres situations d’infection, les IgE produites puissent contribuer à faire durer l’inflammation quand la phase initiale a été insuffisante, ou pas assez prolongée.
Mais pourquoi mettre en jeu ce mécanisme “ à risque ”, puisqu’il peut s’accompagner de lésions cutanées et de problèmes respiratoires ou digestifs si les muscles bronchiques ou intestinaux sont concernés, et puisqu’il expose à l’état de choc s’il devient généralisé, donc à un risque mortel, vis-à-vis de molécules de l’environnement qu’on peut considérer comme inoffensives ? En effet, chez l’allergique, des IgE sont produites contre des épitopes présents dans des substances qui, apparemment du moins, ne représentent aucun danger pour les individus : pollens, fruits, légumes, minuscules arachnides commensaux comme les acariens, sécrétions des chats, chiens ou chevaux...C’est la définition même des allergènes. Or le mécanisme se met en jeu de la même façon, et les conséquences sont les mêmes...Le couple IgE-mastocytes devient réellement infernal puisqu’il réagit semble-t-il à “ contre temps ”, on pourrait presque dire “ à vide ”...De plus, dans la dermatite atopique, des cellules qui n’interviennent pas normalement dans les mécanismes IgE dépendants, comme les cellules de Langerhans, peuvent fixer les IgE et devenir des “ concentrateurs d’allergènes ” dans la peau ou les muqueuses, pour initier après contact avec les lymphocytes T d’autres réactions immunitaires qui compliquent encore la situation ; les polynucléaires éosinophiles et basophiles recrutés et activés par les médiateurs de l’inflammation ont eux aussi des récepteurs pour les IgE à leur surface et contribueront à l’inflammation et aux lésions chroniques qui se développeront chez l’allergique...Un cercle vicieux peut alors s’installer car on sait maintenant que les mastocytes contribuent à la synthèse des cytokines du profil Th2 qui favorisent la synthèse d’IgE... Enfin, chez certains individus, on a l’impression que de très nombreuses molécules de l’environnement, d’autant plus nombreuses que le temps passe et que le contact avec elles se répète, vont être capables de susciter la production d’IgE et d’entraîner des manifestations cliniques touchant des organes variés : nez, oeil, bronches, peau, tube digestif, vaisseaux. Ces individus sont, justement, les “ atopiques ” !
 
On naît atopique...on devient allergique ! Génétique et environnement dans la production des IgE, et leurs conséquences pathologiques.

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L’augmentation importante des manifestations allergiques dans les pays développés au cours des vingt dernières années a suscité de nombreuses études sur les caractéristiques immunologiques des patients que Coca et Coke (mais oui, ce n’est pas une plaisanterie, c’était bien leurs noms !), deux médecins américains des années 1920-1930, avaient proposé d’appeler “ atopiques ”, c’est à dire “ sans lieu ; inclassables ! ”...Cette classification (des inclassables !) reposait au début du siècle essentiellement sur des caractéristiques cliniques : manifestations allergiques successives et variées chez un individu donné ; et sur des notions génétiques : existence de cas similaires chez les parents. Dès la découverte des IgE, on s’est rapidement aperçu que ces sujets avaient statistiquement des taux sériques d’IgE supérieurs, voire très supérieurs aux autre individus. De plus, on a pu démontrer que dès la naissance, beaucoup de ces sujets “ atopiques ”, à risque de devenir allergiques, avaient déjà une production d’IgE supérieure à celle des bébés non atopiques, peu à risque de devenir allergiques, chez qui cette production est quasiment indétectable. L’influence génétique dans les maladies allergiques semble donc s’exercer préférentiellement sur la capacité du système immunitaire à sécréter des IgE, même si d’autres aspects, concernant en particulier les réactions tissulaires, de la peau, des bronches, ont aussi quelque support génétique. Les découvertes des 10 dernières années concernant l’influence des cytokines sur l’orientation des réponses immunitaires et sur l’orientation de la sécrétion d’anticorps vers une sécrétion préférentielle, donc un peu “ anormale ”, d’IgE, ont identifié des “ profils ” de sécrétion, qui ont été appelés “ Th1 ” et “ Th2 ”. En simplifiant un peu, on peut dire que c’est le profil Th2 qui, en quelque sorte, “ gouverne ” l’aptitude à produire beaucoup d’IgE. L’augmentation du nombre d’allergiques dans les pays développés, au mode de vie “ à l’occidentale ”, a pu être récemment être corrélée  avec un certain nombre de situations qui privilégient le profil Th2 au détriment du profil Th1 : augmentation des conditions d’hygiène, diminution des maladies infectieuses systémiques de l’enfance, entre autres à la faveur de la diminution du nombre d’enfants dans les familles, pollution automobile, en particulier liée aux particules présentes dans les gaz d’échappement (plus qu’aux gaz habituellement mesurés, et plus en tous cas que la pollution industrielle “ classique ”).
Il y a quelques mois seulement, on a pu montrer que, indépendamment des prédispositions génétiques atopiques, le “ profil ” de tous les humains à la naissance est “ naturellement ” Th2 ; il y a une bonne raison à cela : c’est le profil qui garantit la tolérance du foetus chez la femme enceinte, qui devrait normalement “ rejeter ” cette “ greffe ” partiellement étrangère (la part du père !). L’évolution du profil cytokinique des enfants qui ne deviendront pas allergiques se fait graduellement vers un passage de ce profil Th2 vers un profil Th1 ; ce passage n’a pas lieu chez l’allergique. De plus un certain nombre de facteurs d’environnement “ moderne ”, des pays riches, contribue à mettre en contact les individus, et principalement les jeunes enfants, avec des substances potentiellement allergisantes que leurs parents rencontraient peu par le passé, ou très tard quand le système immunitaire est complètement développé : c’est ainsi que l’on explique le rôle de la diversification alimentaire très précoce qu’on a prônée à partir des années 1960, de la consommation de fruits et légumes “ exotiques ” (y compris l’arachide), de l’importation d’essences exotiques d’arbres dans les jardins privés ou publics, ou moins exotiques mais fortement allergisantes, comme le cyprès dans les pays méditerranéens. D’autres facteurs pourraient être mis en cause mais leur influence reste à démontrer, comme l’augmentation de l’alimentation carnée dans le régime de tous nos pays, et pourquoi pas la supplémentation hormonale dans l’alimentation des animaux de boucherie (le fameux boeuf aux hormones !), puisque les hormones en question sont justement celles qui, pendant la grossesse, interviennent pour maintenir le profil Th2.
Reste à savoir pourquoi les substances d’origine végétale, animale ou xénobiotique qui sont connues pour être des allergènes,sont justement des allergènes, et suscitent la production d’IgE. On sait seulement qu’il n’y a pas de caractéristique chimique commune à tous les allergènes, même pas aux épitopes qui sont les parties des molécules effectivement reconnues par les récepteurs des lymphocytes et par les anticorps IgE. L’analyse des “ réactions croisées ” a permis de repérer l’identité d’épitopes qu’on croyait initialement différents : on s’achemine vers une réduction du nombre de “ vrais ” allergènes, et vraisemblablement vers une simplification du testage diagnostique dans l’allergie, dès le moment où on pourra disposer facilement d’épitopes allergéniques de synthèse...Elle a aussi montré qu’en règle générale il s’agissait de molécules ou de parties de molécules très “ conservées ” au cours de l’évolution des espèces, c’est-à-dire qu’on les retrouve, sans grand changement, dans des espèces, et même des familles ou des embranchements très différents, et elles sont au total relativement peu différentes de molécules présentes chez l’homme. Peut-être y-a-t’il là un début de réponse et on peut proposer une suite hypothétique d’événements qu’il s’agira de démontrer à l’avenir : 1) ces épitopes mettraient préférentiellement en jeu un système de tolérance, traduit par une réponse Th2 et par une petite production d’IgE, insuffisante pour déclencher des symptômes, chez les individus “ normaux ” ; 2) à la faveur d’une prédisposition génétique à fabriquer des IgE en grande quantité, ou de circonstances environnementales qui soit favorisent le profil Th2, soit mettent l’organisme en présence d’une trop grande quantité d’allergènes et/ou trop tôt dans la vie, la production des IgE et leur fixation sur leurs cellules cibles seraient accrues, et les manifestations cliniques pourraient apparaître ; 3) l’heure et le lieu de ces manifestations cliniques pourraient, eux, dépendre de facteurs additionnels, comme la sensibilité des mastocytes à la dégranulation, du fait entre autres de l’intervention des multiples co-facteurs de dégranulation que nous avons évoqués plus haut ; c’est ainsi que l’exercice physique, les maladies associées, les médicaments...et les émotions, le stress et les divers événements de la vie psychique et sociale seraient susceptibles de jouer leur rôle, parfois tout à fait déterminant, même si leurs conséquences sur les événements pathologiques ne sont pas toujours univoques. Les progrès de l’immunologie et des neurosciences sont maintenant des garants du sérieux de ce genre d’hypothèse quant à l’apparition de l’allergie “ maladie ” sur une base d’allergie “ sensibilisation ”, traduite seulement par la présence d’IgE telle que peut le repérer une analyse du sérum. Il faut cependant se garder d’interprétations rapides voire simplistes : la cascade des événements est complexe et “ personnalisée ”, mais il est important de comprendre que tous ces facteurs interviennent ; on comprend alors un peu mieux que le diagnostic et la prise en charge soient plus délicats que dans bien d’autres domaines de la pathologie humaine.
 


 

Chronique atypique et atopique d'Edgar Peau
 
Comment je m'en moque

 
Edgar Peau possède une sensibilité à fleur de peau, comme son nom l'indique. Atteint mais pas éteint pour autant, il nous fait part à chaque fois de ses aventures qui le démangent. En grattant bien, vous découvrirez un être tendre qui rougit pour un rien. Enfin, pas toujours.
 
A un moment ou à un autre, il faut s'en moquer.
Ne serait-ce que pour se prouver qu'on est le plus fort.
Et plus on s'en moque et moins on est soumis, même si on le subit.
C'est toujours ça de pris, alors en route :
Parmi les 60 000 mots référencés du Petit Robert, il en existe un seul qui prête donc à la moquerie : eczéma. A-t-on déjà vu mot plus abscons voire plus abstrus ?
Apparu dès 1747, ce mot savant provient du latin eczema qui provient lui-même du grec ekzema, du verbe de la même langue ekzein qui signifie bouillonner.
Ces nobles origines antiques ont de quoi flatter mon amour propre
et mon derme pas si propre que ça. La Grèce antique, la Rome antique
et mon eczéma antique et pas toc...je m'imagine déjà en Alexandre le
Grand ou mieux encore en Jules César bouillonnant, repoussant les hordes
Atopics au-delà du Peau, à l'aube encore endermie.
Mais bon, je m'égare hagard Edgar.
Revenons à nos boutons et découvrons la définition affligeante de ce mot
qui nous afflige pourtant bien :
Affection cutanée caractérisée par des rougeurs, des vésicules suintantes
et la formation de croûtes et de squames.
Eh oui, une belle définition qui nous enderme bien, car échappée d'un
film d'horreur de série B : affection, vésicules, suintante, croûte, squame...
Tous les ingrédients du monstre visqueux et baveux y sont. Brr, autant mon
origine dermatologique me va pile, autant sa signification m'horripile.
Alors, pour faire passer la pilule d'antihistaminique, je vais me moquer devant
vous de ce grotesque terme en m'inspirant des méthodes non moins
moqueuses de Monsieur Queneau. Grattera bien qui grattera le dernier.
 
1- Je m'en moque avec la définition des mots de la définition.
Cet état affectif et psychique, accompagné de plaisir ou de douleur, qui appartient à la peau, dont le caractère est bien marqué par une coloration rouge de la peau, des boursouflures de l'épiderme contenant une sérosité qui suinte, et la manière dont une chose est formée de la partie extérieure du pain, durcie par la cuisson et de lamelles qui se détachent de l'épiderme dans certaines dermatoses.
Eh oui docteur, tout fout le camp, surtout mes lamelles. Pour un peu, on deviendrait presque des dermatologistes du langage aguerris à défaut d'en être guéris, de la maladie bien sûr.
 
2- Je m'en moque en remplaçant chaque mot par le septième du même genre dans la suite alphabétique du Robert.
Affichette cyclothymique cardiologique par des roulades, des vesses sulfatées et la formulation de cruches et de squaws.
Vraiment, avec la poésie, tout passe. Un vrai plaisir cette affichette cyclothymique.
 
Déjà, le mot eczéma est plus banal tellement il est devenu ridicule. Bâh oui, après tout, c'est un mot comme un autre.
 
En tout cas, si vous avez eu l'occasion de faire des mathématiques et d'avoir arrêté, vous au moins, vous pouvez toujours dire : "Je suis un ex-matheux eczémateux". Quelle chance !
 
Décembre 1998


 
 
       
Comment j'ai tout essayé et comment j'essaie encore
  
C'est vrai, pour ma dermatite atopique, j'ai tout essayé pour la faire disparaître.
Tout du moins, l'atténuer, la circonscrire, la retenir, la délimiter, la réduire, l'amoindrir, l'affaiblir, la minimiser, la contenir, eczétéra, eczétéra, eczéma...
J'ai tout essayé, mais par manque de peau, j'ai tout raté.
Mais au moins, j'aurais tout vu, tout su, tout pu et tout n'en parlons plus aujourd'hui.
A l'époque il y a quelques temps, j'étais donc tout guilleret à l'idée d'entreprendre un traitement pour me soigner.
Et pour que je sois sûr que ça marche ou que ça ne marche pas, je me disais :
mon p'tit Edgar, faudra t'investir à fond au moins trois mois pour pouvoir te faire une opinion.
Et quand je dis investir, c'est pas que du temps.
Bref, je ne vous ferai pas attendre une ligne de plus, allons-y pour le listing exhaustif :
J'ai essayé l'allopathie. Rien à redire ni à dire, on fait ce qu'on peut.
J'ai essayé la dermatologie. La routine. Une exclamation par-ci, une photographie par là, une petite ordonnance, et à la prochaine. En moyenne deux visites par mois.
J'ai essayé l'allergologie. Des tests cutanés, sous-cutanés, sous cul tanné, des pîqures, du scotch et du feutre sur la peau en veux-tu en voilà.
J'ai essayé l'homéopathie. Des dizaines de petites pilules blanches et des ampoules marron chaque jour douze mois d'affilée. Un record.
J'ai essayé la puvathérapie. Plus de 300 séances sous les sunlights. Et toujours pas une star. Enfin, je préfère quand même les Antilles.
J'ai essayé la dermato-psychologie. Vous vous exprimez avec votre peau m'a-t-on dit. En tout cas j'ai conservé cette mauvaise habitude.
J'ai essayé la psychanalyse. Très bien, on est (hait ?) bien reçu, bien assis et on attend que ça soit fini.
J'ai essayé l'hospitalisation. Quinze jours à chaque fois et toujours à St Louis.
On a ses petites habitudes. Variante : l'hôpital de jour. On vient trois fois par semaine. Pour garder le contact.
J'ai essayé la corticothérapie. A mon avis, trop. Ce qui expliquerait que j'en suis accro sans être à cran (ça vient).
J'ai essayé le régime alimentaire. Pas d'oeuf ni farine pendant des années, soit adieu : pain, pizza, gâteaux, croissants, macdo, couscous...Reste zéro.
J'ai essayé l'acupuncture. Des aiguilles bien sûr. Mes centres d'énergie sont sacrément verrouillés.
J'ai essayé les bains de la Mer Morte en sachet. Peu d'effet sur les peaux mortes. Mais j'ai compris pourquoi Marat est mort dans sa baignoire.
J'ai essayé la cure thermale. Jets d'eau façon aliéné, bain de foule, brumisateur au kilomètre et le déplaisir d'être loin de chez soi pendant trois semaines.
J'ai essayé le guérisseur. Celui-là, j'ai été le voir à Roubaix. Potion magique écoeurante, imposition des mains, huiles essentielles Lesieur et n'importe quoi.
J'ai essayé le charlatan. Arrêtez les corticoïdes. J'ai tenu six mois. Après j'ai été hospitalisé d'urgence.
J'ai essayé la conjureuse de vers. C'était en Bretagne par une personne de plus de 90 ans. Un grand moment d'émotion avec incantation en latin et signe de croix.
J'ai essayé la magnétothérapie. On m'a branché une prise dans chaque oreille reliée à un appareil avec une aiguille comme un compteur de voiture. Je suis resté comme çà une heure. 400 F la place assise.
J'ai essayé les massages vitaux. Le plus hallucinant. Massages à ras du corps habillé. J'ai appris avec effarement au bout de deux mois que j'étais dans une secte (l'une des 5-6 plus importantes de France !).
Tous ces essais, ça m'a quand même pris 10-12 ans.
Et aujourd'hui ?
Je suis vacciné, mais pas de l'eczéma.
Mais ça ne m'empêche pas d'être à l'écoute pour essayer encore. C'est plus fort que moi. Je sais, j'ai le vice dans la peau...
 
Décembre 1997
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